*Premier texte de notre collaborateur Sylvain A. Trottier, animateur de jeux à La Récréation.
Le jeu, un produit culturel
Bienvenus, chers amis-lecteurs, dans cette première chronique Culture Jeux, là où culture et jeux se rencontrent. Ensemble, nous verrons à travers des thématiques, des sujets précis, des mots-clefs, que culture et jeux font très bon ménage. En effet, nous parlerons de la culture du jeu, de la culture dans le jeu, du jeu culturel, des jeux dans la culture, etc. Bref, nous jouerons et serons cultivés; que du bonheur, chers amis-lecteurs! Si certains incultes des milieux culturels (voyez ici un trait d’humour) arguent que le jeu ne peut être associé à la culture, car « il s’agirait plutôt de divertissement ou de loisir », je leur répondrai simplement : lisez ce qui suit!
Afin de bien saisir le propos, je vous invite à utiliser une petite grille d’analyse toute simple proposée par M. Marc Ménard, doctorant en économie et ex-chercheur à la SODEC, qui énonce 5 traits distinctifs de tout produit culturel : une reproductibilité reposant sur des coûts fixes de production élevés mais des coûts de reproduction faibles; la mise en œuvre d'un important travail de création; le constant renouvellement de l'offre; le caractère aléatoire de la demande; le fait que chaque produit est un prototype. Oui, je sais, ça paraît compliqué, mais prenons-les un à un.
- Une reproductibilité reposant sur des coûts fixes de production élevés mais des coûts de reproduction faibles
En effet, le développement d’un jeu est un processus onéreux, tant par le temps investi dans sa création que par tous les autres frais liés aux illustrations, à la rédaction des règles, etc. Mais une fois le jeu monté, nous pouvons le faire imprimer et réimprimer à coût moindre, tout simplement.
- La mise en œuvre d'un important travail de création
Un jeu de société, c'est d'abord une idée, celle de l'auteur. Cette idée sera constamment retravaillée, modifiée, peaufinée, avant que le jeu ne soit finalement commercialisé. Et l'auteur n'est pas le seul agent impliqué dans le processus de création : l'illustrateur doit créer les visuels qui aideront à l'immersion ludique. Si c’est pas du travail de création, ça!
- Le constant renouvellement de l'offre
Plus une industrie culturelle prend de l’expansion, plus le public est en demande de ses produits, ce qui contribue à l'accroissement de l'offre (c’est très lié, paraît-il), et donc, à une explosion de produits. Un novice qui pénètre l’univers du jeu constate ainsi très rapidement que l’offre est immensément diversifiée. Le rythme de parution des nouveautés s'est en effet accru ces dernières années à un point tel que même les plus passionnés des gamers ne sont plus en mesure de le suivre.
- Le caractère aléatoire de la demande
Tous les goûts sont dans la nature et c’est très vrai dans le monde du jeu. Certains préfèreront des jeux festifs, d’autres de stratégie profonde, d'autres encore désireront être transportés dans différents univers. Et auteurs et éditeurs auront beau faire tester le jeu avant de le publier, on ne sait jamais comment les joueurs réagiront : la ligne entre un succès et un jeu qui sombre rapidement dans l’oubli est parfois bien mince…
- Chaque produit est un prototype
Non sans raison, on appelle la forme non-éditée d’un jeu, un prototype.
Et si ce n’est pas assez pour vous permettre de comprendre le tout, prenons l’exemple d’un livre (j’ose imaginer que vous en avez tous déjà tenu au moins un dans vos mains… Et pour les nouvelles générations, pensez à cette chose de papier qui n’utilise que l’imagination comme interactivité et qui n’a pas besoin de l’appellation « intelligent » pour l’être, à l’inverse de votre téléphone… Mais bon, je m’égare, revenons à l’en-jeux qui nous intéresse). La première version d'un livre, celle que l'auteur présentera aux maisons d'édition, se nomme le manuscrit. Du côté du jeu, c’est la même chose : un auteur présente un prototype à un éditeur-jeux qui va le retravailler pour qu'il corresponde aux tendances du marché, tout comme l'éditeur-livres apportera des modifications au manuscrit sélectionné. Donc, si le processus d’édition d’un jeu est le même que pour un livre, qui est considéré comme un produit culturel, il n’y a pas lieu de ne pas accepter le jeu en tant que produit culturel.
Une des beautés du jeu, à la différence des autres produits culturels, est son degré d’implication nécessaire afin d’en tirer toute sa substance. En effet, si on reste simple spectateur devant un film ou tout autre spectacle, lors d’une partie de Catane, par exemple, nous devenons joueurs et par le fait même participants actifs. Et si, dans le cas d’un livre, la transmission culturelle s'effectue directement entre le livre et son lecteur, il est nécessaire pour qu’un jeu prenne son sens, que 2, 3, 4 joueurs (voire plus!) se rassemblent. Oui, certains diront qu’il y a des jeux qui se jouent seul, mais on parle alors davantage d'un jeu de patience que d'un jeu de société (ce genre de distinction et de classification sera l'objet d'une prochaine chronique).
Nous espérons que cette petite incursion quelque peu théorique vous a donné les armes nécessaires pour défendre votre produit culturel préféré.
« Ainsi, maintenant, vous pourrez dire : non monsieur! Je ne joue pas comme vous le dites avec dédain… Je me cultive! »
Sur ce, bonnes parties!
Commentaires des usagers
La comparaison est intéressante; selon la définition de Marc Ménard, le produit culturel serait la marchandisation de l’œuvre : si on l'applique à un livre, par exemple, L’Odyssée serait l’œuvre, le livre de l'Odyssée le produit culturel. Il s'agit alors de déterminer la valeur que l'on est prêt à donner à l’œuvre qu'est le jeu avant qu'il ne devienne un produit culturel.
C'est un débat intéressant, d'autant plus qu'il a fallu assez longtemps pour que le nom des créateurs se retrouve sur la boîte de leurs jeux, alors qu'il est aujourd’hui impensable que le nom des auteurs ne se retrouvent pas sur la couverture de leurs livres.
Bref, tout cela pour dire qu'il s'agit là en effet d'un parallèle pertinent entre jeu et culture.
Merci pour le commentaire Etienne L.D. :)
En effet, la présence du nom de l'auteur sur la boîte sera sûrement sujet d'une prochaine chronique (et par extension, sa reconnaissance). Et pour faire parallèle avec le livre, oui il est impensable de ne pas voir le nom de l'auteur sur la couverture d'un livre, mais il existe les nègres (ghostwriters)... En existe-t-il aussi dans le monde du jeu de société ? Je me le demande...
Au plaisir,
-Sylvain
Belle chronique Sylvain ! Dans un futur écrit, j'espère que tu nous avanceras des arguments pour nous montrer que le jeu est une forme d'art (Car autant le fait que le jeu soit un produit culturel, j'en suis persuadé ; autant un art, je m’interroge toujours. Et j'aime m’interroger avec des idées à l'appui !)
Quoi qu'il en soit, j'attend la suite avec plaisir !
Te tirant mon chapeau,
Pierrot
Salut Pierrot,
De là à dire que c'est de l'art, je suis moins sûr... En effet, le jeu peut faire appel à des formes d'art (je pense principalement aux illustrations - Dixit par exemple) ou à prendre l'art pour thématique (Fresco, Art Moderne, etc.), me de là à dire qu'un jeu de société est une oeuvre d'art, pas sûr, pas sûr...
Merci pour le commentaire !
-Sylvain
Salut Sylvain!
Chouette ta chronique!
Peut-être pourrait-on même définir le jeu comme "produit" culturel du simple fait qu'il est le produit d'une activité sociale, puis d'un fond commun devant s'adapter au contexte et devenant tôt ou tard une référence sociale. Comme tel, on parle de culture en terme de "produit de consommation" parce que nous trempons dans une culture de consommation. Mais pourrait-il en être autrement? Pour faire le malin et suivant la définition de M Ménard, je dirai qu'une fourchette est également un produit culturel. Mais il n'y a rien de trop élogieux à reproduire une fourchette à grande échelle. De là la réticence que l'on aurait, après avoir admis que le jeu puisse être un produit culturel, d'admettre qu'il soit aussi une oeuvre d'art. Mais peut-être justement, si l'on définit l'art comme une interprétation du culturel/naturel et une prise de parole, un jeu comme produit culturel peut devenir lui-même un art se rapprochant de la Performance.