Teaser d’une perspective historique : Les pixels « délinquants » et le New Hollywood

C’est au prisme de leur statut d’industries culturelles que Blanchet s’intéresse au lien ambivalent – entre rivalité et partenariat – entre le septième et le dixième art. Je ne résumerai ici que quelques observations sur la piraterie iconographique des débuts du jeu vidéo. La décennie 1970, au beau milieu de laquelle le New Hollywood engendre le blockbuster estival (tel que l’on connaît aujourd’hui) avec Jaws (S. Spielberg, 1975), est la période des premiers contacts.

Le New Hollywood est essentiellement la reconfiguration de l’économie hollywoodienne (en un oligopole de grands conglomérats) qui a adapté l’industrie cinématographique à l’ère de la télévision. Pour des puissances comme Warner Communications Inc. (propriétaire d’Atari entre 1976 et 1984), la diversification, les produits dérivés et le marketing de masse deviennent des stratégies aisées à déployer.

Dans cette logique, Jaws est un high-concept-project : une proposition très compacte, « avec une intrigue pouvant être réduite à une simple phrase et réutilisée graphiquement pour la promotion sur affiche et tous types de supports visuels » (p.73). Avec les rediffusions et le support vidéo, Blanchet suggère que le film devient alors analogue au logiciel (software), un objet circulable que l’on peut déplacer d’un contexte physique de réception (hardware) à un autre, de l’espace de la salle à l’espace domestique.

Sans avoir obtenu les droits pour adapter Jaws, Nolan Bushnell (fondateur d’Atari) glisse le bien nommé « shark JAWS » dans cet été 1975 où circule le concept très général de la menace de nageurs et nageuses par un requin. Pour le joueur, la référence est très claire, mais pour Universal, qui pourrait désirer poursuivre Atari, elle est trop vague pour un cas judiciaire. Ce cas en préfigure évidemment bien d’autres, comme l’illustre Donkey Kong (Miyamoto, 1981), dont la figure du « grand singe réactive chez le joueur un schéma interprétatif de la situation de jeu, ses tenants et ses aboutissants […] À l’instar de Shark Jaws, Donkey Kong emprunte à la surface des choses » (p.162).

 

 

Je conclurai sur la timide ébauche d’une perspective historique, en espérant vous donner envie de lire dans cette visée : on peut voir que cette logique d’emprunt aux surfaces est aujourd’hui pratiquée par le jeu vidéo par rapport à lui-même, et avec des projets esthétiques autrement ambitieux. La remarque est banale, mais elle ouvre bien des possibilités. Exemple emblématique, Braid (J. Blow, 2008) qui « réactive » les éléments principaux de Super Mario Bros. (Miyamoto, 1985)  par la recherche de la princesse et le jeu de plateforme, mais justement pour aborder les thèmes du temps, de la mémoire et de l’Histoire. La même zone grise entre reconnaissance claire et différence marquée est à l’œuvre, mais elle propose une réappropriation qui dépasse l’effet de surface, ou du moins le fait travailler autrement. 

 

Jetez un œil au livre de Blanchet, qui couvre en outre les décennies ‘80, ‘90 et 2000 et dégage beaucoup d’autres types de dynamiques transmédiatiques. Et, surtout : soyez nombreux  du 21 au 23 juin à la Grande Bibliothèque ! 

 

Pierre-Marc Côté

Université de Montréal